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Axelle Rioult est une artiste pour qui la question du passage est une préocupation essentielle. Le passage entendu comme geste de transmission. Mais aussi comme mode de transition souvent violent entre l'intérieur et l'extérieur Au centre, le corps. Comme position sociale tout d'abord. Axelle Rioult agit par la réappropriation de gestes auparavant dévolus aux femmes, manière de se réapproprier sa propre mémoire auprès d'aïeules qui nouant, qui tricotant, qui crochetant, qui pliant, définissaient un rapport physique à l'activité sociale, économique et technique au sein de l'espace domestique. Face à la dématérialisation du geste qu'entraina l'industrialisation, il s'agit de retrouver le corps physique à l'oeuvre, que le corps prenne position vis à vis de la technique. Le corps est donc signifié par ce lien qui au sens propre est matérialisé par la fibre tressée, nouée, renvoyant au cordon ombilical, à l'intériorité du corps, à un lieu clos, qui protège autant qu'il étoufe. Corps jamais contenu, corps toujours fuyant par tous les pores (du grec poros "passage"), humeurs s'échappant sur les tissus immaculés : quand on cherche le corps, on trouve la merde. "Les choses graves arrivent dans un lit de blancheur" rappelle A.Rioult en citant l'écrivain Hélène Cixous. Le corps est à l'évidence le lieu d'une perte. Il tache. Aussi la matière qu'utilise Axelle Rioult est-elle faite de ces textiles qui enrobent et contiennent le corps, bandes velpeaux, bandages, draps, serviettes hygiéniques, couvertures, et autres pansements. Le corps ainsi paré délimite une frontière que la seule blancheur du matériau ne saurait rendre étanche. Les humeurs apparaissent et laissent deviner les blessures. Il s'agit donc de rester en contact avec la matérialité du corps, d'aussi près que les draps ou les tissus qui enveloppent le corps le sont d'un patient ou des amants. Le corps protégé, déchiré, réparé.
E. ZWENGER, Revue OHM , Juin 2000