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Axelle Rioult

Dans le travail qu'elle développe depuis près d'une dizaine d'années, Axelle Rioult a pris le risque de l'intériorité. Depuis qu'elle cherche quelque chose par des moyens plastiques, il apparaît, au regard de ses travaux, que ce quelque chose est sensiblement toujours le même, résistant et consistant mais peu saisissable. Dès lors, à se donner comme matière d'un travail plastique une intériorité tant symbolique que corporelle, aussi psychique que charnelle, c'est rencontrer la difficulté d'assigner au sujet (sujet philosophique, grammatical, ou simplement sujet du désir) sa juste densité : la question en a occupé plus d'un, depuis les Essais d'un Montaigne aux Rêveries d'un Jean-Jacques… Il en va de la difficulté de dire je, de former un je qui ne soit pas simplement un soi-même, mais sache devenir autre, c'est-à-dire faire œuvre. La difficulté se précise aussi devant la défiance que la modernité a opposé à l'exposé des moi. Cachez cet intérieur que je ne saurai voir. Ou alors, et c'est l'éclosion de fin de siècle de l'intime qui en révèle le retournement, déballez ! La littérature contemporaine est assez clairement porteuse de cette tentation. Mais ce sujet là ne tente pas non plus Axelle Rioult. L'ambition est autre, et se tient plus vers une littérature sans doute moins courue, aux formes plus proches de la poésie. Et du « je » très particulier qui habite cette écriture-là, un « je » qui ne se satisfait pas de ressembler à un seul, à une seule ; et qui se construit dans la double gageure du je au féminin. Gageure puisque qu'elle n'entend pas non plus se constituer par réfutation des héritages et des représentations de la féminité dans la vie quotidienne –Michel Gaillot note que coudre, tresser, nouer a fait partie du paysage de l'enfance de l'artiste— comme dans les arts. Une Eva Hesse par exemple a marqué de sa capacité à formaliser avec rigueur l'informel du corps vivant qui fait que le travail plastique reste à chaque projet à reprendre, sans naïveté. Après les œuvres textiles des années 90, Axelle Rioult a construit un monde d'images et de mots qui laisse dans la parole, dans la mémoire nommée, dans la conscience aiguë voire douloureuse des sensations et des intensités la place à l'autre dans soi, et de soi dans l'autre. Aujourd'hui, entre narration visuelle et écriture en mots, l'ambition commence à prendre forme, avec un sens dramatique qui, pour n'être pas très de saison n'en est pas moins nécessaire. Une ambition considérable, formulée avec une modestie qui ne doit pas tromper : une tentative de lever les yeux, dit l'artiste.

Christophe DOMINO, 2004

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