Rue de la lisière
Notes pour une mythologie de l’image.
En lisant « Rue de la lisière » d’Axelle Rioult
Il est sans doute peu probable que l’homme arrive un jour à faire l’état du
monde. Monde habité et non pas créé, monde subi et non pas choisi. Monde
inconnu et non fini. C’est-à-dire qu’il est sans doute fort peu probable que l’homme
puisse un jour s’en faire « une idée », en avoir « une image », nette, claire, sans
bavures. Reste la tentative réitérée, l’esquisse, le questionnement toujours irrésolu,
ce par quoi, peut-être, le monde continue d’être habité, regardé, interrogé. Ce par
quoi, peut-être, à un moment où l’urgence de la forme et du sens de cette forme
prend le dessus sur l’impossibilité du « vrai », sur l’impossibilité du reportage
objectif du monde dont l’image ne se voit que re-portée, une démarche artistique
qui s’intéresse plus modestement à l’état de lieux habités, comme ici celle d’Axelle
Rioult, démarche proche de la quête et de l’errance1, essaie de franchir le pas dans
le chemin de ce qui, dès le départ de cette entreprise, s’avoue en lui-même
inaccessible ou, tout au moins, pourrait rendre accessibles les conditions d’une
inaccessibilité, comme aurait dit Giorgio Agamben. Ainsi, sous le bras d’un homme
dont on ignore le visage, se tiennent d’une main maîtrisée des boîtes, des vases, des
contenants, qui gardent en eux un vide précieux, qu’il serait faux de vouloir combler.
Un doigt de cette main, tel l’index de Saint Thomas du Caravage perçant la toile,
s’engouffrant ainsi et disparaissant dans le mystère de la chair, se pose à l’intérieur
de la transparence du verre, rappelant à la fois la méfiance de l’incrédule et
l’abandon tactile et quotidien de la peau au contact inouï avec la réalité de l’objet.
De même, une série de trois casseroles métalliques, dont on ignore si elles sont
pleines ou non, signifient la même attente et la même surprise : un ordre
géométrique de la faim exposé en plein jour, le métal absorbant à peine et donc
plutôt réfléchissant la chaleur d’une lumière qui se refuse ou qui ne se dessine que
dans l’ombre des plis du vivant. Couettes stratifiées excédant la caravane par la
fente d’une fenêtre entrouverte, compositions de rebuts de tôle blancs et
d’électroménager hors usage ou en voie de réparation, amas épars d’éclats de verre,
dessins aléatoires de flaques d’eau de pluie ou de vidanges après essorage,
éparpillement de cailloux et agencement de torchons déposés ou savamment noués,
tout renvoie à cette contradiction de la réflexion du jour, qui touche et dévie, qui
fige et qui quitte, tel un ensemble d’éléments calculés au sein d’un terrain où
pullulent les inconnues. [...]
Ettore Labbate, Caen le 11 octobre 2013
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1 Etats des lieux édition Wharf 2009
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